On pourrait croire qu’avec tous les outils numériques, les capteurs en tous genres, les équipements connectés et les plateformes de supervision, la sécurité au travail n’a jamais été aussi simple à garantir. On déploie un défibrillateur, on installe des détecteurs de chute, on colle des QR codes sur les EPI, on fait clignoter des voyants lumineux à la moindre anomalie… et tout le monde souffle un peu, en se disant que “c’est bon, on est couverts”. Et c’est précisément là que le danger commence.

 

Le vrai danger, ce n’est pas de ne pas avoir de technologie. Le vrai danger, c’est de croire qu’elle suffit. De croire qu’un capteur remplace une culture, qu’un bip sonore remplace une alerte humaine, qu’un rapport d’audit généré automatiquement remplace l’analyse réelle du terrain. Ce que je vois de plus en plus, et je le dis sans détour, ce sont des entreprises hyper-équipées, sur le papier irréprochables, mais qui s’effondrent à la première situation imprévue, parce que personne n’est réellement préparé. Pas formé, pas impliqué, pas conscient.

 

Prenons un exemple concret : le défibrillateur. Il est là, fixé au mur, visible, flambant neuf, avec sa LED verte rassurante qui dit « je suis prêt ». Mais posez la question autour de vous : qui sait vraiment le sortir de son boîtier sans paniquer ? Qui sait comment l’utiliser si une personne s’effondre, inconsciente, sans respiration ? Et surtout, qui sait que sans massage cardiaque immédiat, même le meilleur DAE du monde ne servira probablement à rien ? On s’offre un faux sentiment de sécurité. On pense avoir « fait le job », mais on n’a que coché une case sur un document Excel.

 

Même chose pour les capteurs de CO2 ou de qualité de l’air. On les installe dans les bureaux, on les montre aux visiteurs, on les cite dans les rapports RSE… mais combien de fois j’ai vu des seuils dépasser depuis des semaines, sans qu’aucune action ne soit prise, simplement parce qu’aucune consigne claire n’a été donnée. Le capteur devient un accessoire décoratif. On lui fait confiance, mais on ne sait même plus ce qu’il nous dit.

 

Je pourrais multiplier les exemples : les harnais avec puces RFID, les appli de suivi des EPI, les badges d’accès qui enregistrent tout mais ne préviennent de rien… On mise sur la technologie comme si elle pouvait faire à notre place, alors qu’en réalité, elle ne fait que ce qu’on lui dit de faire. Et si personne ne lit, n’interprète, n’agit derrière, alors c’est une coquille vide. Une illusion de maîtrise. Un vernis.

Et pourtant, la technologie a évidemment sa place. Elle est précieuse, elle peut sauver des vies, elle peut alerter plus vite, prévenir plus tôt, automatiser des choses fastidieuses. Mais elle ne remplace jamais l’humain. Elle ne remplace pas la formation, pas la répétition des gestes, pas la vigilance partagée, pas le bon sens collectif. Elle ne remplace pas un salarié qui ose dire « je sens que quelque chose ne va pas », ni un collègue qui intervient au bon moment parce qu’il a vraiment compris les consignes.

 

Je pense qu’on est arrivés à un tournant. On ne peut plus continuer à empiler les outils numériques, les logiciels, les capteurs, en espérant que la prévention se fasse toute seule. La vraie prévention, celle qui protège les gens pour de vrai, c’est celle qui vit dans le quotidien. Dans les comportements, dans les habitudes, dans les réflexes. Et ça, aucune technologie, aussi perfectionnée soit-elle, ne pourra le créer à votre place.

 

Alors avant d’acheter un nouvel outil, avant d’installer un système de détection dernier cri, posez-vous une seule question : est-ce qu’on a déjà compris et ancré les fondamentaux ? Est-ce qu’on est prêts à faire vivre cette technologie avec du sens, avec des hommes et des femmes qui sauront quoi en faire ?

 

Parce qu’au final, la prévention, ce n’est pas une histoire de matériel. C’est une histoire de culture.

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