Les formations en santé, sécurité et hygiène au travail (S&ST) sont censées représenter le premier levier de prévention dans toute entreprise. Pourtant, dans la réalité du terrain, on observe trop souvent une approche minimaliste : formations bâclées, dispositifs peu engageants, sessions génériques mal adaptées aux risques réels, et surtout, une logique de conformité administrative plutôt que d’impact humain.
On forme parce qu’il le faut. Parce que c’est obligatoire. Parce qu’il y a un contrôle. Et parfois, parce que le service RH nous relance. Mais derrière ces obligations légales se cache une opportunité bien plus profonde : celle d’ancrer de vrais réflexes de prévention, de renforcer la culture d’entreprise, et de faire monter en compétence des équipes mieux préparées aux risques du quotidien.
Au Luxembourg, les obligations de formation en matière de sécurité sont encadrées par plusieurs textes fondamentaux.
Le Code du travail impose à l’employeur d’assurer la sécurité et la santé des salariés, notamment via des formations appropriées (Article L.312-1 à L.312-4). Le règlement grand-ducal du 9 juin 2006 complète cette obligation en précisant que le personnel doit être formé aux risques auxquels il est exposé, ainsi qu’à l’utilisation des équipements de travail et des équipements de protection individuelle.
Le travailleur désigné, s’il est en interne ou externalisé, a aussi pour mission de vérifier que les salariés reçoivent les formations nécessaires, adaptées aux postes, aux évolutions techniques, et aux incidents constatés.
Dans certains cas, les formations sont directement rendues obligatoires par voie réglementaire, en lien avec l’activité exercée ou les équipements utilisés.
Exemples de formations obligatoires par secteur
1. Bâtiment / Travaux publics
- Formation travail en hauteur (échafaudage, harnais, nacelle)
- Habilitation électrique BT-H / BT-B / HT-A selon niveau d’exposition
- Formation à la manipulation des produits chimiques (FDS, pictogrammes, EPI)
- Formation premiers secours et incendie pour les chefs d’équipe
2. Petite enfance / crèches / structures éducatives
- Formation premiers secours enfants et nourrissons (obligatoire pour au moins 1 personne par groupe)
- Formation à la gestion des situations de violence ou fugue
- Formation à l’évacuation et aux alarmes incendie
- Formation alimentaire HACCP si préparation ou manipulation de repas
3. Secteur tertiaire / bureaux
- Formation équipier de première intervention
- Formation travail sur écran / gestes et postures
- Formation risques psychosociaux dans les milieux à forte pression
4. Industrie
- Formation SST (sauveteur secouriste du travail)
- Formation incendie avancée (utilisation de RIA, interventions sur feu réel)
- Habilitation aux machines spécifiques (presse, découpe, robotique)
- Formation ATEX dans les zones à atmosphères explosives
Selon les données croisées de l’AAA et de l’Inspection du Travail et des Mines (ITM), environ 32 % des accidents du travail au Luxembourg impliquent un salarié non formé ou insuffisamment formé au poste ou au risque spécifique.
Un audit interne de 2023 mené dans 46 entreprises a révélé que plus de 58 % des plans de formation n’étaient pas à jour, et que la traçabilité des formations (présences, attestations, remises à niveau) était lacunaire dans une entreprise sur trois.
L’étude annuelle de l’INFPC, elle, indique que si 87 % des entreprises luxembourgeoises déclarent organiser des formations internes, moins de 40 % incluent des volets liés à la santé et sécurité au travail.
Les recommandations de l’ITM sont claires : l’entreprise doit adapter le contenu des formations à l’évaluation des risques du DUERP, et non se contenter de formations génériques. La traçabilité doit être assurée, tout comme la mise à jour régulière en fonction des postes et de l’évolution des outils ou processus.
Le CGDIS recommande que 100 % des salariés sachent évacuer les locaux, repérer les moyens d’alerte et de lutte contre l’incendie, et agir de façon coordonnée. Il rappelle également que les chefs d’équipe ou managers ont un rôle renforcé et doivent être formés à la coordination en situation de crise.
Le SNJ (Service National de la Jeunesse) impose lui aussi que les professionnels encadrant des enfants ou des jeunes suivent des formations spécifiques reconnues, dispensées uniquement par des organismes agréés. OFSIP fait partie de ces organismes.
Chez OFSIP, nous observons au quotidien que la formation obligatoire est trop souvent perçue comme une contrainte administrative, alors qu’elle devrait être un levier de montée en compétence et de sécurisation collective.
Notre recommandation est de ne jamais séparer le plan de formation du DUERP : les risques identifiés doivent être reliés à des actions concrètes, y compris en termes de sensibilisation et d’apprentissage.
Nous préconisons aussi de varier les formats : distanciel, réalité virtuelle, ateliers immersifs, mises en situation… Il ne s’agit pas de faire « un PowerPoint et une signature », mais de provoquer de vraies prises de conscience.
Autre point important : la régularité. Une formation suivie une fois tous les 10 ans ne permet pas de maintenir les réflexes. Il faut rafraîchir les savoirs tous les 2 à 5 ans, selon les postes.
Le plan de formation : un outil stratégique, pas un tableau Excel
Un plan de formation efficace, ce n’est pas juste une liste de stages annuels. C’est une cartographie des compétences à acquérir, une projection des évolutions à venir, et un outil de dialogue entre direction, RH, managers et travailleurs désignés.
Il doit prendre en compte :
- Les obligations réglementaires
- Les incidents passés ou évités de peu
- Les risques identifiés (DUERP)
- Les projets futurs (nouveaux équipements, déménagement, fusion…)
Il doit aussi prévoir un budget, une périodicité, une traçabilité des suivis, et permettre une réactivité en cas de besoin urgent (accident, changement d’équipe, retour de congé maternité, etc.).
Le cofinancement des formations par l’INFPC
Le cofinancement étatique des formations professionnelles est un outil trop souvent méconnu. Pourtant, il permet aux entreprises luxembourgeoises de récupérer jusqu’à 20 % du montant investi dans leurs plans de formation.
✅ Qui peut en bénéficier ? Toute entreprise légalement établie au Luxembourg, à jour de ses obligations sociales et fiscales, employant du personnel sous contrat luxembourgeois.
✅ Quelles formations sont éligibles ? Les formations internes ou externes ayant un lien avec l’activité de l’entreprise, la sécurité, la prévention, les techniques professionnelles, les soft skills… Sont éligibles les formations SST, incendie, gestes et postures, mais aussi des formations techniques ou managériales.
✅ Quels montants ?
1. Taux de cofinancement de base : 15 %
L’État accorde une aide financière correspondant à 15 % du montant investi en formation au cours de l’exercice, comme l’indique le site officiel de l’INFPC
2. Majorations possibles : jusqu’à 35 % sur les coûts salariaux
Pour certaines catégories de salariés — notamment ceux sans diplôme reconnu et avec moins de 10 ans d’ancienneté, ou ceux âgés de plus de 45 ans — il existe une majoration de l’aide jusqu’à 20 % supplémentaires, appliquée sur le volet salaires des coûts de formation
Cela porte le taux global de remboursement possible aux alentours de 35 % pour ces profils spécifiques.
3. Plafond pour l’investissement (selon la taille de l’entreprise)
Le montant d’investissement en formation pour lequel l’aide est calculée est plafonné selon la masse salariale :
- 1 à 9 salariés : jusqu’à 20 % de la masse salariale
- 10 à 249 salariés : jusqu’à 3 % de la masse salariale
- 250 salariés et plus : jusqu’à 2 % de la masse salariale
Cela correspond bien aux modalités officielles du dispositif.
4. Modalités pratiques
- Le montant est calculé sur l’année civile.
- Le dossier doit être déposé au plus tard le 31 mai de l’année suivante Pixie.
- Les justificatifs acceptés incluent non seulement les coûts de formation, mais aussi les frais de déplacement, le coût salarial, etc.
✅ Comment ?
- Déposer un plan de formation annuel auprès de l’INFPC avant le 31 mai de l’année suivante.
- Conserver tous les justificatifs : feuilles de présence, factures, attestations, contenus…
- Utiliser le Portail myGuichet.lu pour le dépôt.
Leviers
Le principal levier, c’est de changer le regard sur la formation obligatoire. Il ne s’agit pas de cocher une case mais d’investir dans la maîtrise, la confiance et la prévention active.
Former, c’est protéger. Et dans bien des cas, c’est aussi économiser : un salarié formé aux premiers secours peut sauver une vie. Un employé sensibilisé au RPS peut éviter un burn-out. Un opérateur entraîné à la manutention peut prévenir un arrêt maladie de 6 mois.
Autre levier : anticiper les besoins plutôt que de réagir à l’urgence. Quand on identifie les évolutions du métier, on peut programmer des formations stratégiques.
Freins
Le frein numéro un reste le temps. Organiser des formations nécessite de libérer les salariés, d’adapter les plannings, de convaincre les managers.
Vient ensuite le budget, souvent mal évalué ou non priorisé. Pourtant, entre le cofinancement INFPC et les offres intra-entreprise, les coûts sont bien moindres qu’on ne le pense.
Et enfin, le désintérêt. Parce qu’on a mal formé, mal animé, mal ciblé, beaucoup de salariés ont une image négative de la formation sécurité. Il faut donc reconstruire l’envie et la valeur perçue.
Acteurs
- L’employeur, responsable légal des formations.
- Le service RH, garant de la planification et de la traçabilité.
- Le travailleur désigné, qui relie risques et compétences nécessaires.
- Le salarié, acteur actif de sa propre sécurité.
- L’INFPC, interlocuteur pour le cofinancement.
- L’ITM, qui contrôle la conformité du plan de formation.
- Les organismes de formation agréés, dont OFSIP, qui accompagnent les entreprises dans la durée.
Former ses équipes, ce n’est pas seulement répondre à une obligation légale ou remplir une case dans un tableau Excel. C’est assumer pleinement son rôle d’employeur responsable, c’est investir dans la capacité collective à anticiper, réagir et se protéger.
Une entreprise qui forme bien, forme mieux. Elle réduit les accidents, fidélise ses collaborateurs, et crée une culture dans laquelle chacun sait comment agir, pourquoi le faire et pour qui il le fait.
Ce n’est pas une charge, c’est une opportunité. À condition de sortir de la logique du minimum syndical, et d’oser bâtir des plans de formation qui ont du sens, du rythme, et du fond. Et à ce jeu-là, la prévention n’est plus une contrainte : elle devient un levier de performance.